L’argument mis en avant par le gouvernement pour justifier la réforme qu’il veut imposer est l’équité. Cet argument est souvent pris au sérieux par les citoyens épris de solidarité, et j’en fais partie.
Passons sur le fait qu’il ne met pas en œuvre cet argument quand il décide de supprimer les droits de succession pour les plus riches, de quasiment supprimer l’ISF ou de réduire à 10,6 % en réalité l’imposition des revenus des capitalistes (les dividendes) alors que les revenus du travail peuvent être taxés à 40 % !
Il n’y aurait pas équité parce que les salariés de la SNCF partiraient plus tôt à la retraite que les autres salariés, avec une retraite complète, et avec un financement très élevé de l’Etat. Ce discours à sens unique est martelé depuis des mois pour conditionner la population.
Depuis la réforme Balladur, qui n’a pas été remise en cause par la gauche plurielle, les salariés du privé voient leurs retraites calculées sur les 25 meilleures années, et non plus les 10, ce qui va leur faire subir les à coups des périodes de chômage. Les cheminots ne sont pas responsables de ce recul social.
En 2003, sur la base d’informations tendancieuses, parfois même mensongères, sur le nombre d’actifs à l’horizon 2040 pour financer les retraites, le gouvernement Fillon a obligé les salariés du privé et de la fonction publique à obtenir 40 années de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein. L’Insee a annoncé récemment que la population active serait bien plus élevé dès 2020…ce qu’elle aurait pu indiquer bien plus tôt car la fécondité des femmes a remonté depuis 1998.
Une analyse sérieuse, critique, commence à se faire jour.
Tout d’abord est ce que l’équité consiste à tirer tout le monde vers le bas ou vers le haut ?
Focaliser le débat sur les seuls conducteurs (10 % de l’effectif) qui peuvent cesser de travailler à 50 ans, est un peu rapide. Les pilotes d’avions, les militaires et les policiers partent plus tôt en retraite, sans doute parce que l’on estime qu’il faut être en pleine possession de ses moyens physiques pour ces métiers. Au nom de l’équité, faut-il remettre en cause ces départs anticipés ?
Le départ à 50 ans ou 55 ans tient à une bonification des années de travail avec des horaires décalés et souvent de nuit pour nombre de salariés de la SNCF. Nul ne peut reprocher aux cheminots la prise en compte de cette pénibilité ni le fait qu’elle ne le soit pas dans le secteur privé, 4 ans après un accord signé par le gouvernement, le Medef et la CFDT en 2003 qui pourtant prévoyait des négociations pour ce faire : ce sont ces signataires qui sont les premiers responsables de cet état de fait.
Alors que le salaire moyen des cheminots est du même niveau que ceux des salariés du privé, il est dit que les cheminots partiraient avec une retraite inéquitable, sous entendu plus élevée. Précisons d’une part que les départs en retraite se font en proportion de la durée de cotisation, donc à retraite incomplète, d’autre part que les primes (près de 15 % du salaire, ne sont pas prises en compte, contrairement au secteur privé. Par conséquent les cheminots partent avec moins de 70% de leur salaire contre 77 % dans le privé et 80 % dans la fonction publique.
Il ne serait pas équitable que certains partent à 55 ans et d’autres à 60 ans….Mais, qui rappelle que l’âge moyen d’arrêt de l’activité est de 57 ans dans le privé, préretraites et Assedic à la place des employeurs qui refusent de garder leurs salariés « seniors » ? 55 ans d’un côté, 57 ans de l’autre…
Les avantages de retraite des cheminots (lesquels alors ?) sont compensés par l’Etat. Ce dernier verse 2,5 milliards d’€uros (2,5 Md€) au titre de la compensation démographique car l’Etat a poussé la SNCF a réduire ses effectifs, y compris en filialisant ses activités.
Et pour finir sur l’équité, pourquoi ne parle-ton pas plus des ouvriers qui vivent 7 années de moins que les cadres ? De fait les ouvriers paient une partie de la retraite des cadres pour les 7 années supplémentaires et cela ne choque pas nos partisans de l’équité.
En fait, l’enjeu de la remise en cause des régimes spéciaux est double, en cassant le dernier pôle de résistance :
tout d’abord simplement de finir de casser les retraites par répartition afin d’ouvrir encore plus le « marché » aux assurances pour la capitalisation
obliger les salariés à travailler jusqu’à 70 ans…comme aux Etats Unis car de la fin des études vers 23-24 ans à l’accumulation de petits boulots, parfois non déclarés, et le passage à 42 ans de cotisations, ils n’auront pas le choix.
La bourgeoisie tient enfin sa revanche du Front Populaire et de la Libération, comme l’a si bien dit M Kessler, ancien numéro 2 du patronat.
Parlons d’équité…pour des régimes non salariés
Il existe un régime qui est nettement plus aidé que les autres mais dont personne ne parle : il s’agit du régime des agriculteurs, qui touche 6 Md€ au titre de cette même compensation ainsi que plus de la moitié des taxes sur le tabac ; sur le principe, cela peut sembler normal…encore que la Cour des Comptes estime que cette profession sous cotise (parfois de 30 %) grâce à des avantages fiscaux (les forfaits et des mesures spéciales), et il faut noter que la MSA ne contrôle quasiment jamais les entreprises agricoles, ce qui favorises les fraudes, contrairement à l’Urssaf….Où est l’équité dans tout cela ?
Un autre régime, rattaché arbitrairement au régime général, coûte 0,4 Md€ tous les ans pour équilibrer les retraites et le risque maladie : il s’agit du régime des cultes. Les prêtres ont très peu cotisé, pourtant leur « employeur » (l’église catholique) dispose d’un patrimoine important. Qui en parle ? Le Gouvernement ? Les media ?